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Une idée de l’évolution

Freud pensait que notre inconscient est intemporel et que la notion de la mort personnelle n’y existe pas 1. Je crois qu’il se trompait sur la deuxième partie de l’affirmation. S’il n’y avait pas dans l’inconscient collectif au moins l’intuition de la possibilité de notre propre mort, l’espèce humaine (et les animaux qui l’ont précédé) n’aurait pas pu survivre car les individus n’auraient pas eu le réflexe de fuir les dangers qui pouvaient les menacer. Tout ce que nous pouvons concevoir se trouvant potentiellement dans l’inconscient collectif, l’idée de la mort doit s’y trouver sinon nous serions totalement incapables de l’assimiler. Cependant un homme chez qui la pensée de sa mort future reviendrait de façon obsessionnelle serait très probablement handicapé pour ses activités quotidiennes. Une telle pensée doit donc logiquement être placée " hors de portée ".

Autre idée de Freud : le but ultime de la vie (au niveau organique) est la mort 2. Ceci semblait à ses yeux être étayé par le fait qu’il y a une tendance générale au niveau du psychisme à vouloir ramener les tensions (liées aux pulsions) à un niveau minimum. Cependant, cela peut s’expliquer par les principes de rétroaction ou d’autorégulation. L’organisme doit simplement se maintenir dans un état stable pour mener une vie normale. Je crois qu’en réalité la mort par vieillissement est une nécessité de l’évolution des espèces. Le but fondamental d’un organisme n’est pas sa survie propre mais celle de son patrimoine génétique. Dans un environnement changeant, les descendants ont de meilleures chances de survie grâce au métissage associé à la sélection naturelle. Un être vivant doit donc leur laisser la place pour ne pas réduire leurs possibilités mais il n’y a évidemment pas eu de choix. C’est la sélection naturelle elle-même qui a généré cette propriété qui doit être codée dans le génome.

Je pense qu’il en va de même pour la sexualité. Pourquoi la sexualité et pourquoi 2 sexes plutôt que 3 ou plus ? Parce que c’est une solution optimale en termes de propagation d’une mutation favorable. En combinant seulement 2 génomes, il y a un minimum de contraintes et une évolution avantageuse dans un environnement donné se répandra selon les principes de la sélection naturelle. Comme en fait ce sont des organismes unicellulaires, qui n’ont pas de volonté propre, qui ont les premiers échangé 2 à 2 une partie de leur bagage génétique, c’est bien parce que cela leur donnait un avantage par rapport aux microorganismes qui se multipliaient simplement en se divisant que le principe s’est répandu.

Cela amène à examiner la question de l’origine des différentes espèces. Les informations qui codent un gène (les bases) ont des importances très diverses pour son fonctionnement et on se rend compte que moins une information est cruciale, plus elle a de chance d’avoir muté sur une période donnée. En comparant les hémoglobines du cheval et de l’homme 3 on voit 43 acides aminés qui diffèrent parmi 287. Pourtant les 2 substances sont presque identiques fonctionnellement. Les mutations se trouvent en grande partie à des emplacements non essentiels. Mais si une mutation provoque un disfonctionnement, elle est forcément éliminée par sélection naturelle. Mon idée est la suivante : les chances de mutation sont identiques pour toutes les informations de l’ADN, quelle qu’en soit l’importance, mais la notion clé est celle de pression de l’environnement. A tout moment, les êtres vivants gardent potentiellement la capacité de se diversifier et d’évoluer très vite mais ils ne peuvent le faire que quand ils ont le champ libre. Je crois que c’est cela qui explique par exemple l’histoire des mammifères. Tant que les dinosaures occupaient quasiment tout l’espace ils ont peu évolué pendant plus de 100 millions d’années. Quand les reptiles ont été décimés à la fin du secondaire ils se sont diversifiés et répandu dans toute la place disponible (radiation) en quelques millions d’années. De même pour l’apparition des organismes macroscopiques au début de l’ère primaire 4. Il semblerait que ce soit l’augmentation du taux d’oxygène dans l’atmosphère et les océans (nécessaire pour des métabolismes de plus en plus perfectionnés) qui ai enclenché le processus 5. Comme leur plus grande taille devait les favoriser par rapport à leurs concurrents de l’époque, ils ont pu se diversifier alors qu’ils auraient végété si les contraintes du milieu avaient été élevées.

Le cours de l’évolution serait donc fortement lié à des évènements catastrophiques ou au moins inattendus. Il serait une série d’étapes décimation – radiation des survivants. Mais pourquoi les êtres vivants semblent-ils évoluer toujours vers une plus grande complexité 6? Peut-il y avoir un but à cette évolution ? Là aussi la réponse est peut être simple : les organismes ont besoin de leurs caractères acquis pour survivre dans leur milieu et ils ont besoin de la capacité à muter pour la survie de leurs descendants. C’est par ajouts ou spécialisations que la progression est réalisée, les individus qui par malheur font marche arrière étant pénalisés et voués à disparaître. Il est même possible que le taux moyen de mutations soit aussi codé d’une manière ou d’une autre dans le génome (une sorte de tolérance)7 et qu’il ait été optimisé par la sélection naturelle. En effet, depuis que les premières macromolécules qui s’autorépliquaient ont commencé à se diversifier, il y a toujours eu compétition et le milieu changeait régulièrement, ne serait-ce que parce que la biosphère le modifiait 8.

Christian Trévarin

1) Ainsi notre inconscient ne croit pas à la mort personnelle, il se conduit comme s'il était immortel. Ce que nous appelons notre "inconscient" , les couches les plus profondes de notre âme, constitué de motions pulsionnelles, ne connaît absolument rien de négatif, aucune (dé)négation - en lui les contraires se recouvrent - et de ce fait ne connaît pas non plus notre propre mort, à laquelle nous ne pouvons donner qu' un contenu négatif. Ainsi rien de pulsionnel en nous ne favorise la croyance en la mort; Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort (1915)

2) Ce but doit bien plutôt être un état ancien, en état initial que le vivant a jadis abandonné et auquel il tend à revenir par tous les détours du développement. S'il nous est permis d'admettre comme un fait d'expérience ne souffrant pas d'exception que tout être vivant meurt, fait retour à l'anorganique pour des raisons internes , nous ne pouvons que dire: le but de toute vie est la mort et, en remontant en arrière, le non-vivant était là avant le vivant; Au delà du principe de plaisir (1920)

3) Les bases moléculaires de l'évolution; numéro spécial biologie de Pour la Science, décembre 1985

4) Le Big Bang de l'évolution animale; Pour la Science, janvier 1993

5) Le protérozoïque supérieur; Pour la Science, décembre 1991

6) Contingence et nécessité dans l'histoire de la vie; Pour la Science, mai 1993

7) SOS génome: réparation et évolution; Pour la Science; mars 2000

8) Les premiers écosystèmes terrestres; La Recherche, novembre 1992