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Névrose et psychose

J'écris ce document parce qu'il me semble qu'il est temps de faire le point sur le sujet abordé. Il pourra éventuellement être retouché plus tard si de nouvelles informations apparaissent.

A la naissance, un enfant n'est a priori pas préparé à un environnement culturel particulier. Chez nous il se retrouve face à quelque chose qui n'a rien de naturel : les adultes ont un comportement double en refusant de toujours s'exprimer de la façon la plus directe possible. L'enfant est parfaitement capable de se rendre compte de l'anomalie même s'il ne peut pas l'exprimer. Il y a un clivage dans ce qui lui parvient et il perçoit bien qu'il y a un sérieux problème - puisqu'il semble ne jamais prendre fin - sans pouvoir en déterminer l'origine (les non-dits dans sa famille tiennent évidemment là un rôle important). L'attitude des parents ne sera pas identique d'un cas à l'autre en fonction de leurs attentes et de la correspondance avec ce qui se passe en réalité. Logiquement, cette confrontation inévitable doit faire peur à l'enfant et il en est traumatisé. Selon qu'il résiste plus ou moins bien à cette expérience, qu'il a plus ou moins de chance, il deviendra névrosé ou psychotique. Je pense que, placé devant l'anormalité en question, aucun d'eux ne peut y échapper. Une fois bien engagé dans une des 2 voies il est improbable d'en changer, et même impossible à partir d'un certain age (d'après nos connaissances sur le sujet).

Commençons par les psychotiques. J'ai vu de près 3 types d'individus de ce genre : ceux qui ont l'air de paranoïaques classiques, ceux qui sont d'une façon flagrante déphasés par rapport à leur environnement et ceux qui passent inaperçus jusqu'à ce qu'on examine attentivement leurs propos. Les "paranoïaques classiques" se remarquent par leur hostilité immédiate et à peine voilée. Rien n'indique qu'ils aient quelque chose à voir en particulier avec le climat général. Les "déphasés" ne cherchent pas à cacher leur violence sans pour autant s'exprimer ouvertement. Par exemple, ils semblent trouver normal (et même banal) de montrer de façon quasi évidente à tout le monde qu'ils souhaitent tuer quelqu'un en particulier. C'est comme si cela devait leur apporter du prestige.

Le plus étrange, ce sont ceux qui se fondent complètement dans le paysage parce qu'ils réussissent à avoir l'air normaux tout en vivant un délire intériorisé. J'en ai vu un certain nombre qui sont persuadés d'être très supérieurs à tous ceux qu'ils côtoient sans qu'il y ait quoi que ce soit qui le justifie dans leurs réalisations personnelles ou l'attitude des autres à leur sujet. Et ils ont une forte hostilité (qui apparaît dans le cas d'une contradiction mineure) envers certaines personnes bien précises sans aucune raison préalable. Je suis convaincu que si par miracle quelqu'un arrivait à faire s'exprimer l'un d'eux sur son propre point de vue, sa seule réponse serait "parce que".

Les traits de caractère précédents les désignent comme étant des paranoïaques, mais qui manqueraient à ce point de confiance dans les autres qu'ils ne diraient jamais à qui que ce soit leurs véritables griefs sur tel ou tel sujet. Comme ils sont psychotiques ils sont entrés dans un système qu'ils se sont construit et ont un besoin absolu de le maintenir. Pour cette raison ils sont tout à fait incapables d'esprit critique envers eux-mêmes. Diverses choses me donnent à penser que ceux-là en particulier n'ont généralement aucune créativité et que pour réussir socialement ils sont forcés de "fraterniser" avec une personne ayant plus de possibilités à ce niveau, de la suivre pas à pas. Il faut s'attendre à des affabulations de leur part, nécessaires pour donner le change.

Ils ne peuvent pas avoir d'ami véritable parce qu'ils ont besoin de penser qu'ils contrôlent entièrement les autres pour ne pas se sentir menacés. De plus, il leur faut quelqu'un pour "expulser" - projection - tout ce qu'ils peuvent ressentir de négatif chez eux (ils veulent croire à leur perfection sans avoir jamais rien fait de particulier) en lui faisant porter le chapeau. En fait, le principal problème si l'un d'eux réussi à monter dans une hiérarchie n'est même pas sa médiocrité mais le besoin pressant qu'il aura de ne laisser approcher personne qui pourrait la faire apparaître par de malencontreuses bonnes idées (qu'il serait incapable de suivre) ou par des détails qu'il remarquerait. Cela se résume en une méthode : faire le vide et conforter tout le monde dans une illusion de contrôle de la situation (voir aussi Un paradoxe taoïste, Répulsion et Le Soi).

Les névroses pourraient peut-être se répartir en une palette selon les besoins initiaux des personnes. Il semble que les gens qui recherchent particulièrement l'honnêteté soient plutôt atteints de névrose obsessionnelle. Celle ci traduirait le conflit, l'écartèlement entre ce qui serait nécessaire à quelqu'un et le modèle qui lui a été proposé dès le départ. Son surmoi étant inadapté - à son cas personnel, pas à la société qui en est la source - il aurait l'obligation de refaire face aux conditions de sa constitution pour pouvoir progresser vers plus de confort en se donnant les moyens d'examiner objectivement les faits passés et présents. Cela est certainement un travail difficile et un psychanalyste ne pourra pas y aider réellement puisqu'il aura lui aussi hérité des travers de la même société (je crois que C.G. Jung a abordé un point très intéressant en disant que lorsque 2 personnes dialoguent, leurs inconscients se mettent aussi à dialoguer à un autre niveau).

Les non-dits semblent tenir une place très importante dans toutes les relations. Bien souvent, quand quelqu'un se fait une idée qui lui parait aller de soi sur un sujet (mais peut pour autant être complètement absurde), il a l'air persuadé qu'il en est de même pour tout le monde. Certains peuvent même accuser l'autre de mensonge ou de provocation si on leur dit que ce n'est pas le cas. C'est comme si ce qui est important, ce qui est à la base de chaque rapport humain, devait toujours rester inexprimé. Dans ce fourbi, il y a par exemple l'idée que l'on doit donner raison en priorité à ceux qui sont le plus en adéquation avec la société (voir aussi Substitution).

On dirait qu'il y a parmi les névrosés (mais ceux-là le sont-ils vraiment ?) des gens qui, peut-être par manque d'individualité, posent comme modèle social ce qu'ils ont vu un peu partout : des individus sans talent mais qui se maintiennent au-dessus du panier de crabe ("s'il y arrive, je peux le faire puisqu'il n'est ni plus ni moins doué que moi ; et de toute façon n'importe qui saisirait sa chance dès qu'elle se présente" - plus précisément, ils semblent être incapables d'imaginer que les autres pourront agir autrement). Leur comportement consiste alors essentiellement à être sournois et à trahir à la première occasion ceux qu'ils côtoient tous les jours (le fait de croire que l'on peut faire confiance à un paranoïaque et entrer dans son jeu en l'imitant sans conséquences négatives alors même qu'on observe ses agissements montre bien une stupidité insondable).

Pour tous, c'est comme s'il y avait une chose quasi essentielle mais qui ne leur apparaît pas : le besoin impératif de conserver l'illusion du contrôle de sa propre situation. Pourtant, il est rare que des gens arrivent à se comprendre en s'exprimant de manière détournée malgré une pratique forcenée, ce qui devrait mettre un sérieux bémol à leur optimisme (mais évite au moins des conflits permanents entre les nombreux opportunistes). Mon petit doigt me dit que ce genre d'idées fixes devrait avoir un rapport direct avec la situation initiale de l'enfant décrite plus haut. L'illusion ultime est peut-être celle de la maîtrise de soi car l'inconscient a plus d'un tour dans son sac.

Christian Trévarin